A défaut de pouvoir traverser, on pourra faire le tour. La ville se mesure au temps nécessaire à boucler la boucle (à peu près une heure) dans le sens des aiguilles d’une montre, par exemple. Je dessine un cercle : à droite la ville, à gauche la campagne. Je marche le long d’une périphérie tracée sur [voir plan du centre].

On ne peut pas se perdre, cette ville ne bouge pas. Toutes ses forces sont concentrées pour s’agglomérer (ne pas sous-estimer l’énergie nécessaire à la constitution d’un vide, surtout central). Ici, il n’y a pas de dérive possible, ni en pratique, ni même en théorie, et pas de fragmentation non plus – alors que ce sont les deux premiers signes d’une expérience urbaine.

Pour apparaitre sur la carte, cette ville-ci doit devenir un point inerte (elle est obligée de travailler à son entropie) c’est à dire n’importe quoi sauf une ville : un cercle, un trou.

Cette ville n’existe pas. Mais ce n’est pas ma ville. J’y habite (provisoirement), je ne l’habite pas. Nous ne nous devons rien. En attendant, ici ou ailleurs, j’occupe parfois un creux.



Dans cette ville, déménager signifie se déplacer de quelques centaines de mètres sur le dessin. Ça ne change pas sa configuration — tout au plus, légèrement, le point de vue que l’on porte dessus. Ce qui change le plus est l’espace intérieur, privé, de l’habitation : nouvelle organisation cachée d’un fragment du trou. Pourtant, la boulangerie la plus proche n’est plus la même, et on achète son journal ailleurs — un erzatz d’ailleurs, un changement insignifiant de place de stationnement.

Le parking est la carte à l’échelle 1:1 de lui-même. Des lignes blanches continues, à ne pas franchir, délimitant l’emplacement de chaque machine à laver. (…et, oui, le sentiment grisant et superficiel de liberté en roulant sur ces lignes – en caddie comme en voiture – dans le parking désert,un dimanche par exemple).

En voiture, on pourrait aller aussi vers l’ailleurs, trouver une vraie ville en moins de cinq heures. Cinq heures, c’est à peu près la limite, juste le temps pour pouvoir être de retour le soir même dans le trou qui me sert de case. Mais ça ne suffit pas, je n’aurai pas marché, je ne me serai pas perdu. L’ailleurs n’a de sens que s’il est, au moins provisoirement, définitif.
