Les photographies de la série les trouées de Philippe Paret sont constituées de deux images en une ou — plus précisément — d’une image et demi (et d’une absence). Techniquement, c’est une sorte de bricolage du médium photographique : deux prises de vues, dans un même lieu cadré à l’identique, sont superposées sur le même plan-film. La première est un portrait (netteté sur la figure) et la seconde un paysage partiel (netteté sur le fond). Le paysage est partiel, parce qu’une partie du cadrage de la deuxième prise de vue est occultée de façon à ce que le paysage corresponde plus ou moins à la silhouette de la figure dans la première. Et cette figure est absente de la deuxième image. L’image finale est donc constituée de deux couches : un portrait sur fond de paysage flou + un paysage net dans le creux d’une figure absente. Ou encore : l’image d’un trou sur l’image de ce qui est troué.
Un objet est un trou dans un objet qu’il n’est pas. Les objets matériels ont un emplacement dans l’espace, et en cela ils font un trou — qu’ils occupent entièrement — dans leur contexte. Une personne dans un lieu est un trou dans ce lieu. Mais dans une image? Tout est ramené à la même surface, celle du plan-film par exemple. Une image est un phénomène visuel opaque. Les figures et les objets cachent un fond supposé… mais il n’y a de surface que dans la juxtaposition. Alors, on pourrait effectivement faire un trou dans une image, mais il ne montrerait que le mur sur lequel elle est accrochée.
Très loin d’une mythologie de l’instant décisif, Philippe Paret installe l’une sur l’autre deux couches temporelles, spatiales et visuelles, différentes : celle de la figure, et celle de son absence. Si toute photographie a entre autres quelque chose à voir avec la mort, ce n’est pourtant pas la question ici : ce que la superposition des deux images montre, c’est le monde à travers la figure, reformé et reformulé dans le trou qu’elle occupait l’instant d’avant — ou occupera l’instant d’après. Le frottement entre elles de ces diverses couches de visible dessine un paysage subjectif dans lequel le personnage et le contexte se définissent l’un par l’autre.
Entrevoir l’image dessous — ou dessus — à travers un fragment de l’autre, c’est faire vaciller la temporalité figée de l’instant photographique : celui d’avant, celui d’après, celui surtout d’entre-deux instables, de trouées dans l’opacité du visible.
(première publication dans Polystyrène n°79 / octobre 2004)